Mutation des sociétés dès 1850


Depuis l’aube du Second Empire, de l’expansion européenne et de celle de la métallurgie, de la vapeur puis de l’électricité (fin du XIXe s.) aux périodes où le producteur va de plus en plus devenir consommateur, où l’Europe tombera en proie à ses guerres, et jusqu’à la naissance des communications, la mort de l’industrie, la première grande transformation est le déclin, tout au long de cette période, du monde rural.




Au cours des Trente Glorieuses (1945-1975), l’on assiste donc à la croissance régulière des deux secteurs de l’industrie et des services. Dès leur fin, observons surtout l’accélération de l’abandon de la terre, ou plutôt de l’usage de la technique permettant la grande exploitation (alors que la règle était plutôt le morcellement dû aux partages), mais aussi l’explosion du secteur tertiaire. Voyons ceci depuis le milieu du XIXe s., pour la France, mais avec l’éclairage intermittent d’autres pays ayant connu un similaire développement.


I. La transformation de la population active


1.1. L’affirmation d’une société industrielle et le déclin du monde rural (1850-1970)


La forme de société liée à la production impliquera tout d’abord l’exode rural, le déplacement des populations de la campagne à la ville, monde de l’atelier, puis de l’usine. L’emploi industriel à son tour va progressivement se diversifier tout en poursuivant sa croissance.

Parallèlement, vers la fin du siècle, le salariat se développe ainsi que le niveau moyen de formation (lois, Ferry, 1881-2). Une classe moyenne apparaît (A vau-l’eau de Huysmans, 1882) avec l’apparition d’un mouvement social, matérialisé par exemple par le syndicalisme en 1884.
Etayée sur les théories du libéralisme anglais (Smith, Ricardo) et français (un industriel du coton, Jean-Baptiste Say), il est notoire de remarquer que la France manifeste un retard par rapport aux pays germaniques (Angleterre, Allemagne, etc.), et reste encore dominée par l’agriculture.


Walden, Les docks de Cardiff, 1884




Le monde rural, très tôt mis en opposition avec celui de la ville, puis de la ville de l’atelier et de l’usine, devient aussitôt symbolique : l’idylle champêtre d’abord (Michelet, Le peuple, 1846 ; J. Breton, Le rappel des glaneuses, 1859 [toile]), puis la peinture d’une avarice et d’une brutalité paysanne (Zola, La terre, 1887) à côté d’un monde ouvrier (L’assomoir, Germinal, etc.) dont les mœurs ne sont guère meilleurs, mais où la misère est plus piquante, plus « massive ».



Lhermitte, Les paysans vus par la troisième république, 1884


Le monde ouvrier peu à peu s’organise, et revendique ses droits (la grève est autorisée dès 1864, et l’association syndicale, elle aussi interdite à la Révolution française, l’est en 1884).

Adler, La grève au Creusot, 1899

Au tournant du siècle, c’est la « Belle Epoque », portée par les nouvelles industries comme l’automobile ou la chimie, où l’on retrouve une réelle expansion économique et un regain artistique, littéraire. Le bel envol est tiré à terre en 1914, quand une longue guerre s’installe, mais ne doit pas celer que la « lutte ouvrière » ou le colonialisme ne cessent.


A la victoire, en 1918, la France ne retrouvera plus ce qu’elle a perdu à l’aube de cette guerre. Un peu de croissance ne finira, elle aussi, qu’à tomber en 1929, et dix ans plus tard une nouvelle guerre éclatera, voulant déjà prendre la place de l’ancienne présente à la mémoire, selon une marche de l’histoire de plus en plus fulgurante. Quelques années auparavant le Front Populaire gagna la France et y fit les réformes sociales tant attendues : hausse des salaires, deux semaines de congés payés, 40 heures hebdomadaires de travail, début de nationalisations).

Vallotton, Verdun, 1917

La guerre encore a symbolisé que la machine a besoin d’hommes : voyez mieux le modernisme de l’ouvrier qui n’est pas le paysan ; quant au soldat, on voit que Chambord devient le symbole, par métonymie, d’une France ancienne et à l’aurore de sa puissance.

 

A l’issue de la guerre, l’on va comprendre que la technique — et la science, la radioactivité pour la bombe A — ne sert pas qu’à la production pour l’homme et par l’homme, mais peut autant devenir un outil de destruction de l’homme. Mais l’urgence est de reconstruire une société viable sur le plan international.

Les Trente Glorieuses vont durer jusqu’au milieu des années 1970, et faire connaître une forte période de croissance, une explosion démographique, la décolonisation et l’essor de l’immigration. Le monde rural s’effondre.


1.2. La société postindustrielle (dès 1970)


L’idylle telle qu’elle est apparue pendant la Belle époque ou les Trente glorieuses se tasse dès les crises pétrolières.

Vers le milieu des années 1970 apparaît une société postindustrielle, dont les dimensions principales sont la prédominance de :
- l’emploi tertiaire (aujourd’hui 75 % de la PA) ;
- le déclin de l’emploi industriel (son apogée fut en 1950) et la désindustrialisation ;
- le déclin encore du secteur primaire (55 % en 1850, 3,3 % en 2009) ;
- le développement de la précarité dans un contexte d’élévation globale du niveau de vie (apparition, dans les années 1970, du CDD par exemple) ;
- l’accroissement du niveau de qualification...

Cette évolution est liée aux difficultés et aux choix économiques de la France dans le cadre nouveau de la mondialisation. Elle permet d’évoquer quelques questions sociales qui l’accompagnent : intégration des jeunes sur le marché du travail, évolution socio-économique des vieilles régions industrielles…


1.3. Développement du salariat féminin


On dit que dès la seconde guerre mondiale, et pendant les Trente Glorieuses (1945-1975, de la guerre aux chocs pétroliers), les femmes remplacèrent les hommes dans les usines (les « munitionnettes »), et que la population active féminine va croître de plus en plus. Cependant, les femmes ont toujours été actives, et en 1905, la population ouvrière, estimée à plus de 4 millions de personnes, compte près d’un tiers de femmes.



Cependant, elles seront aussi confrontées au « plafond de verre », c’est-à-dire aux règles implicites leur limitant l’accès à certains postes à responsabilité, et à celles leur faisant percevoir un salaire moindre par rapport aux hommes.


II. L’immigration et la société française au XXe siècle


Avant tous les autres pays, la France choisit de recourir à l’immigration pour pallier à la demande croissante de main-d’œuvre, et ce dès la fin du XIXe siècle. Elle met en place des lois de naturalisation, en 1887 et 1917.


2.1. Avant les trente-glorieuses


Avant tous les autres pays, la France choisit de recourir à l’immigration pour pallier à la demande croissante de main-d’œuvre, et ce dès la fin du XIXe siècle. Très vite, elle met en place des lois de naturalisation, en 1887 et 1917 : le droit du sol — aux enfants nés en France — vient compléter celui du sang.

D’abord dominé par des populations frontalières (Italiens, Belges, Espagnols), au tournant du siècle — et surtout après la guerre — l’accueil de la France se tourne vers les populations des colonies, les Polonais, Arméniens, etc. Jusqu’en 1975, la plupart des immigrants en France seront d’origine européenne.

Ces vagues successives sont, outre les promesses économiques, également motivées par l’image républicaine du pays, mais elles connaissent une alternance avec diverses tensions sociales — voire d’ouverte xénophobie (Vichy, etc.) — surtout pendant la crise des années 1930 : expulsion des polonais, journaux d’extrême droite, etc.


2.2. L’immigration des « trente-glorieuses »


A cette époque s’installe une mosaïque d’origines différentes attendant les premières politiques d’insertion (1964) pendant que la France connaît une aisée croissance. Mosaïque à dominante maghrébine et africaine, elle prend forme dans un contexte de décolonisation. Ainsi, dès la fin de la guerre, l’Etat met en place l’ONI, office national de l’immigration, destiné  à recruter les travailleurs étrangers. Rapidement ils connaissent la misère, concentrés dans des bidonvilles à la périphérie de Paris surtout, qui ne disparaitront (pour mieux réapparaître) que vers les années 1970.

Bidonville de Nanterre, 1965
 
Dès 1974 la France met en place les premières mesures de régularisation, accompagnées par la montée de la xénophobie et du Front national. Lentement, les valeurs sur lesquelles la France est fondée depuis alors près de deux cents ans s’interrogent face au repli communautaire, à la violence, et en général à ce à quoi une devise ne saurait palier : l’inégalité économique, mais surtout l’éthique moderne reposant sur l’universalité médiévale.
Sans rien y changer, le monde s’ouvre, et l’espace Schengen propose de nouvelles mobilités qui amplifient ces difficultés de contrôle. Peu à peu, l’immigration « main-d’œuvre » devient une repopulation.



Source : Le Figaro, 10 oct. 2012


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Définitions :

- étranger : personne qui réside en France et ne possède pas la nationalité française. A la différence de l’immigré, il peut être né en France et perdre ce statut en acquérant la nationalité.
- immigrant : personne née étrangère à l’étranger et résidant en France. Sa qualité est permanente.



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